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Politique Canada1903 Canada1922C 

Théodore Botrel, chansonnier politique




 (in D. Leloup, M.-N. Masson (ed.),  Musique en Bretagne. Images et pratiques. Hommage à Marie-Claire Mussat , Rennes, PUR, 2003, p. 149-159).

 

 

"Je ne fais pas de politique

Et ne suis qu'un barde rustique

[1]Qui, libre, chante son refrain

En semant son modeste grain

Dans les sillons du champ Celtique

Ecoute qui veut ma Chanson !

Récolte qui veut ma Moisson !"

 

(Coups de Clairon, 1903).

 

            C'est ce qu'affirme Théodore Botrel et sans doute peut-il sincèrement penser qu'il "ne fait pas de politique" au sens plus ou moins populaire mais réactionnaire où il l'entend à l'époque : la "politique" c'est la  République parlementaire, semi-dreyfusarde, le  régime des "mandarins et des mandrins" (Rebérioux, 1975, 21), source de tous les maux de la Patrie... et Botrel n'est pas de ce bord-là (1). Mais n'est-il pas pour autant un chansonnier politique ?

            L'implication de l'auteur de "La Paimpolaise" dans les événements qui précèdent le "Grand Complot" nationaliste de 1899 et le procès en Haute-Cour qui s'ensuivit ne semble guère laisser de doute à cet égard...

 

De "La Paimpolaise" aux Chansons de la Fleur de Lys.

            En 1899, Théodore Botrel est bien sûr connu comme l'auteur de "La Paimpolaise" et de "La Fanchette" (cf. Botrel, 1995); il a été récompensé par le prix Montyon de l'Académie Française pour ses Chansons de chez nous  (1898), mais il est aussi, depuis longtemps, un chansonnier engagé dans l'actualité pour le compte ou les idées des autres qui peuvent coïncider avec ses propres convictions.

            C'est ainsi que comme chansonnier -c'est-à-dire comme faiseur de chansons-, il a pu écrire des textes plus ou moins polissons pour le compte d'Emile Spencer, composer et chanter des chansons d'actualité comme "Les trois grands mots" ou "V'là c'que c'est la Fraternité", des romances d'amour comme "La Paimpolaise", écrire des refrains propres à égayer les mathurins comme "La mer et la fille", mais aussi, comme membre de la Paroisse de Saint-Augustin, comme catholique et "patriote de la "vraie France" façon Déroulède", comme le dit Anne-Marie Thiesse (1991), composer "Papa Tricolore" ou "La douleur du drapeau" ("Je sais ce qu'il a mon Drapeau:/Il veut qu'on le venge ! ") et être perçu comme quelqu'un susceptible d'écrire sur commande des chansons royalistes.

            Il faut évidemment replacer cette démarche dans une époque où, comme le rappelle Madeleine Rebérioux (1975), "partout les chansons s'affrontent: au "Ça ira !" et à "L'Internationale", armes vocales des dreyfusards, répond l'hymne nationaliste construit sur un calembour en l'honneur de Déroulède", et où chanter un air -voire en détourner le sens associé ou emblématique- peut devenir un enjeu politique et idéologique.

            C'est ainsi qu'en 1897 quand, après avoir hésité -dit-il dans Les souvenirs d'un barde errant (Botrel, 1926, 236)- à convertir sa muse en "virago de réunion publique", Botrel accepte de faire des "chansons politiques dans un sens royaliste", 14 chansons ou "refrains vendéens" au total, d'abord insérés dans la Gazette de France et publiés sous le titre Les chansons de la Fleur-de-Lys en 1899, année où sont également publiées les Chansons de Jacques la Terre et de Jean la Vague. "En chantant les Héros d'Hier/On prépare ceux de Demain", peut assurer Botrel dans une dédicace de ce recueil (2), et on pourra sans peine trouver dans ces chansons des appels à la mobilisation  et au sacrifice comme dans "Debout, les gâs !" (3), ou l'annonce d'une aurore blanche (4). En janvier 1899, il chante devant le duc d'Alençon, le Duc et la Duchesse de Vendôme ainsi que devant les "camarades zouaves" (pontificaux) du général Athanase de Charette et, au mois de février, il interprète ses œuvres en compagnie de "madame Botrel" devant le Duc d'Orléans, à Twickenham. C'est alors que, séduit par le costume de scène de Botrel, le "Prétendant" aurait chargé celui-ci de lui faire couper un costume breton chez un tailleur de Lorient...

             En fait, il semble bien qu'au début de 1899, en pleine Affaire Dreyfus, Botrel qui est proche des royalistes mais qui est aussi en relation avec les animateurs de la Ligue de la Patrie Française et se déclare toujours admirateur de Déroulède, ait été particulièrement engagé et impliqué dans la mobilisation  et l'agitation extrême de la droite nationaliste et révolutionnaire des Ligues qui précède  la tentative avortée de marcher sur l'Elysée du 23 février (5).

 

"La Faubourienne".

            C'est en en tout cas à ce moment précis que Botrel prend, selon ses dires, l'initiative  -ce serait une première pour le chansonnier politique- d'écrire les 16 couplets de "La Faubourienne ou Prends ton fusil, Gavroche !... Chanson patriotique de Théodore Botrel, l'Auteur de "La Paimpolaise". Dédiée aux Français de France" publiée par l'éditeur des "Chansons de Botrel", G. Ondet (83, Faubourg St Denis) (6).

            Malgré la référence de type publicitaire à l'auteur de "La Paimpolaise", cette chanson, est bien dans le prolongement direct des Chansons de la Fleur-de-Lys puisqu'elle reprend l'air et de la structure de la "vieille chanson héroïque" de 1894 dite de "Monsieur de Charette" qui, selon La Bonne Chanson qui la reproduit en juillet 1908 dans son n° 9 (pp. 210-211), "est un peu comme la Marseillaise des Chouans" (7). La "mâle chanson vendéenne" est suffisamment  connue à l'époque -au moins dans les milieux royalistes- pour être reprise avec les paroles de Botrel sans qu'il soit apparemment nécessaire de préciser sur la partition de quel air il s'agit : il suffit à Botrel de reprendre la chanson au point où elle en était restée : "Nos messieurs sont partis/Pour aller à Paris" et c'est Gavroche et les Faubourgs qui sont invités à se soulever et à prendre les armes...

            Le refrain  contient, en effet, en des termes à peine voilés, un appel factieux à l'insurrection contre des "Vautours" :

 

"Prends ton fusil, Gavroche

Mets du plomb dans ta poche

Car le moment est proche

Où les gâs des Faubourgs

Vont chasser les Vautours"

 

            Les vautours qui ont remplacé les "perdrix" de la chanson-source, c'est, en vrac, à ce qu'on déduit sans peine des couplets,  ceux qui salissent le Drapeau bleu, blanc, rouge, les "Sans Patrie", ceux qui haïssent la "Caserne", ceux qui « mangent not’blé », les "Youpins", les "Dreyfusards".

            Quant aux seize couplets, tous officiellement construits sur le modèle "Monsieur de Charette a dit à ceux de..." -mais  chantés  "Paul Déroulède a dit à ceux de..."-, ils appellent les uns après les autres les différents faubourgs de Paris mais aussi les Etudiants et, à la fin, les cent mille Bretons de Paris, en incitant, clairement, avec une gouaille et un accent faubouriens affectés (Antoine rime avec coënne et avoine) et toutes les ellisions et les points d'exclamation nécessaires, à une violence qui n'est pas seulement verbale mais fait appel aux poings et aux armes.

            Le fait que "Monsieur d'Charette" par dessus le siècle et les classes s'adresse au peuple des faubourgs de Paris ici incarné par un emblématique Gavroche emprunté à Hugo se situe bien dans la vision botrélienne de la France : une France souffrante renouant avec les valeurs dont la Monarchie et le peuple sont dépositaires et que la République a dévoyées, le bras armé et rédempteur pouvant se trouver être Déroulède, en l'occurence. Le retour final au refrain de la chanson de Monsieur de Charette avec l'appel à l'alliance entre Grégoire et Gavroche ("Avec ceux des faubourgs/Viens chasser les Vautours !) est à cet égard très symptomatique d'un éclectisme politique de Botrel que ne semblent pas, comme on le verra, avoir partagé les différentes factions concernées, les royalistes et les déroulédistes.

            Il est difficile d'affirmer que cette chanson de marche destinée par sa structure à être facilement reprise pour courir les faubourgs, a pu devenir l'hymne de ralliement projeté. Bornons-nous à constater qu'elle a été suffisamment connue pour pouvoir jouer un petit rôle lors du Procès dit du "Grand Complot" qui se déroule, en 46 audiences publiques, du 9 novembre 1899 au 4 janvier 1900, et où sont jugés les acteurs d'une nouvelle tentative d'insurrection en août 1899 -avec l'épisode dit de "Fort-Chabrol"- dans laquelle Botrel se trouve à nouveau impliqué et, à ce titre, inquiété.

 

Un chansonnier au Palais du Luxembourg.

            Ce n'est pas ici le lieu de revenir dans le détail  sur les raisons pour lesquelles Théodore Botrel est invité à comparaître, comme témoin, lors de la 33e audience du 18 décembre 1899 (8). Plus intéressantes, en revanche, sont les circonstances qui permettent au chansonnier de se mettre en scène ainsi que sa chanson "La Faubourienne" au sein même du Sénat constitué en cour de justice. Certains comptes rendus de presse permettent de les reconstituer.

            Remarquons d'abord -avec l'assistance- que Botrel comparaît en costume breton, un " costume du pays d'Armor, souliers à boucles, braies noires, large ceinture bleue, long manteau flottant sur les épaules et large chapeau à ruban",  également vu comme "costume breton du siècle dernier" par Léon Prieur, rédacteur au journal monarchiste Le Soleil (1899, 329), et l'arrivée du "rude et mélancolique chansonnier" semble avoir fait sensation : Léon Prieur (1899, 331) fait état d'un "long frémissement". Se présenter dans un costume breton qui est son habit de scène dans l'enceinte du Palais du Luxembourg et d'une Haute Cour de Justice, en permettant son immédiate identification comme "chansonnier breton", c'est sans doute pour Botrel donner en représentation une certaine image de la tradition alors associée à la Bretagne (9), mais aussi, par ironie implicite, faire allusion à un autre costume semblable -celui qu'il a commandé pour le compte du "Prétendant"- et, encore plus, faire acte militant, avec son corps puis sa voix, en se donnant en spectacle comme on dit, en transformant pendant quelques minutes l'enceinte d'une institution de la République et sa Justice en une vulgaire salle de cabaret. L'analyse de la suite de la comparution et de la "performance" de Botrel permet d'aller dans ce sens.

            Passons sur la première scène de cet acte unique, le moment où Botrel à qui l'on demande de jurer s'étonne de l'absence de Christ et s'écrie : "Comme chrétien, je suis un crucifix vivant, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je jure de dire toute la vérité ! " (Le témoin fait le signe de croix),  entraînant, selon le rédacteur du Soleil , des "ricanements maçonniques", pour en venir à la question sur la chanson  "La Faubourienne". Voici comment le rédacteur du Soleil  décrit la "performance" à laquelle elle donne lieu.

            « A la question posée par M. de Fréchencourt, par ailleurs membre du Comité Central des Jeunesses Royalistes et Vice-Président de "L'œillet blanc" :

"-Est-ce que nous ne vous avons pas empêché de faire des chansons en faveur de Déroulède ?", Théodore Botrel  répond : "-Si fait ! J'aime Déroulède, parce qu'il est patriote et parce qu'il a chanté Messire Duguesclin qui est Breton (10). J'avais fait sur lui (Déroulède) une chanson sur l'air de la chanson vendéenne "M. de Charette a dit à ceux d'Ancenis"

            Et Théodore Botrel entonne la fameuse chanson vendéenne d'une voix mâle, forte...

            Le président, interloqué, saisit sa sonnette :

-Mais arrêtez-vous donc ?

            Le public des tribunes:

-Continuez, continuez !

            Et le courageux chansonnier lance encore quelques notes, le plus qu'il peut. La sonnette présidentielle couvre sa voix. Alors il se résigne :

            -Quand on a connu dans le clan royaliste que je chantais Déroulède, on m'a dit : "Ne chantez pas cet homme ! Déroulède est un piège à loups, à loups bretons ! Méfiez-vous ". Et alors, je me suis arrêté à regret.

            Et Théodore Botrel se retire. Lui succède, au milieu d'une émotion profonde, M. Edouard Drummont... " (11).

            La même scène est succinctement racontée dans L'Eclair  "un des organes antidreyfusards les plus violents" alors (Bellanger, 1972, 345) ("M. Bottrel (sic) (...) est venu -après avoir fait un grand signe de croix-, expliquer qu'il avait fait sur un vieil air vendéen une chanson déroulédiste. Pour indiquer l'air, il a chanté les deux premiers vers de la vieille chanson de Grégoire. Un murmure général l'a interrompu"), et développé dans son Compte-rendu sténographique de la 33e audience du lundi 18 décembre 1899 ("La Haute Cour. Un programme varié et mêlé de chants") publié le mercredi 20- XII-1899, de la façon suivante : "En février dernier, je crois, j'avais fait une chanson  pour Paul Déroulède car, comme patriote, comme patriote et surtout comme breton puisqu'il a écrit Messire Duguesclin, j'aime Paul Déroulède. Je m'étais donc dit : "Il faut aider ce patriote et j'avais fait une chanson intitulée "La Faubourienne". Cette chanson dans mon esprit devait rendre Paul Déroulède encore plus populaire, s'il se peut. Malheureusement, je la fis sur un air chouan, sur l'air de la chanson vendéenne : M. de Charette a dit à ceux d'Ancenis... (le témoin chante ce vers).

M. le Président : Indiquez seulement ce que vous voulez dire, mais ne chantez pas.

R. Bien entendu, je fis cette chanson pour Paul Déroulède : "Paul Déroulède a dit à ceux de Paris...". -C'était Paul Déroulède qui parlait contre les sans-patrie.

M. le Président : On ne vous demande pas votre chanson. M. de Fréchencourt vous demande et je vous prie de répondre à la question, si oui ou non, on ne vous avait pas demandé de faire au contraire des chansons dans le sens royaliste" (12).

            Plus que les arrière-pensées des questions et des réponses qui visent à dédouaner les royalistes des griefs de conspiration contre la République -et Botrel s'y prête volontiers- ou que la confirmation de ce que Théodore Botrel peut "faire" des chansons dans tel ou tel sens, ce qui intéresse dans ces comptes-rendus qui valent presque "enregistrement" d'un témoignage sous forme de "performance" provocatrice, peut-être plus méditée qu'improvisée, c'est l'insistance délibérée mise par Botrel à faire entendre sa chanson dans l'enceinte du Sénat et de la Haute Cour, avec d'ailleurs une variante par rapport au texte imprimé, "Paul Déroulède" remplaçant "Monsieur d'Charette" ainsi que  le contraste, souligné par le journaliste, entre l'ascendant que prend soudain la force décidée de la voix "mâle" du chansonnier factieux et les tintements agités de la petite sonnette du Président représentant l'institution légitime. En s'abritant derrière sa qualité de chrétien, patriote, et de Breton qu'il dit également percevoir chez Déroulède, mais en aucun cas évidemment en revendiquant des solidarités factieuses... dont la chanson pourtant témoigne.

            Est-il excessif de penser qu'avec cette mise en scène du chansonnier breton, Botrel, plus militant qu'il n'y paraîtrait, a pu avoir l'intention de convertir, le temps d'un couplet et de quelques mesures, un symbole de la République en simple salle de cabaret , en caveau de la République, pour ainsi dire ? En y installant son corps costumé et sa voix de chansonnier-acteur avec toute la vulgarité et la violence implicite d'une chanson des rues et des faubourgs et politique, il rabaisse et avilit symboliquement une des plus hautes institutions de la République. Avec une chanson factieuse, il peut faire acte de factieux.

 

De "La Bérangère" à "Zola au Panthéon".

            Cet épisode du "grrrand Complot" dixit Botrel, se termine, pour lui, sans dommage mais aussi, comme il se doit, en chansons, avec l'année suivante (1900), ce qui est supposé être le coup de pied de l'âne donné au Président de la Commission d'instruction de la Haute Cour, René Bérenger (1830-1915), "La Bérengère (Chanson Ross-trospective)" dédiée "A ceux qui l'an dernier, sans faiblir, sans rager/Souffrirent au Pays où fleurit Bérenger) (13) , chantée sur l'air de "La Carmagnole" avec le refrain suivant:

 

"Chantons la Bérengère

Vive le ...Son

Vive le... Plot

Chantons la Bérengère

Vive le grand Complot !"

 

            et 7 couplets (plus une "Moralité") replets de calembours ("A fait arrêter trois bouchers/(C'est pas euss qu'est les plus bouchés", etc.) et de grossièreté naturelle ou appuyée, en "hommage", sans doute, à celui qui sera surnommé Père la Pudeur, sur un fond "historique" où sont présents Déroulède, Buffet et le comte de Sabran-Pontevès (les commanditaires royalistes de la Ligue antisémitique), Godefroy, Poujol dit de Fréchencourt , G. de Monicourt ( secrétaire "courrier" du duc d'Orléans), Barillier (le marchand-boucher "gorille" de Déroulède), Jules Guérin (président de la Ligue antisémitique) et Botrel lui-même qui, dans le cinquième couplet,  se met à nouveau en scène de cette façon:

 

                                               "Chez certain chansonnier breton

                                               Bérenger a saisi, dit-on

                                               Quatre ou cinq lettres d'un tailleur :

                                               Cinq lettr's !!! ça lui port'ra bonheur !" (14).

 

            C'est l'époque où Botrel écrit ses Chansons de not'pays et ses Contes du lit-clos publiés en 1902. Sa veine politique ne s'en trouve pas pour autant affectée.

            A preuve, les neuf couplets de "La Catholique", que, sur l'air de "La Carmagnole", il écrit en 1902 ou 1903, à un moment de retour à une politique anticléricale de la République radicale, avec l'ambition courante à l'époque de parodier ou de donner un autre sens littéral et symbolique à un emblème musical sonore, et le refrain suivant :

 

"Hardi ! contre la clique

Sans Patrie et sans-Dieu !

Pour la Foi catholique

Français, debout ! car Dieu le veut !

Chantons la Catholique

Vivent la France et Dieu".

 

            Comme le précise l'éditeur de l'image d'Epinal qui sert de support  à la chanson (15), "quand leurs adversaires athées et internationalistes troublent leurs processions, envahissent la Tribune et le Forum en hurlant la Carmagnole et l'Internationale, les Catholiques et les Patriotes de la vraie France n'ont à leur opposer que des cantiques ! Qu'ils apprennent donc et fassent apprendre autour d'eux, bien vite, cette chanson du barde breton Théodore BOTREL". Sur le recto de la feuille où sont imprimées la musique et les paroles, figure -car la bataille des hymnes se double d'une bataille d'images et de symboles- une allégorie de la France de Clovis, blonde guerrière aux longs cheveux dans le vent, mais casquée et revêtue d'un haut d'armure et brandissant la croix de la main gauche et l'épée ou le glaive de la main droite en réponse aux briseurs de calvaires et autres profanateurs évoqués par la colonne tronquée et la croix de pierre gisant sur une terre nourricière et beauceronne à la Millet avec, au fond, le clocher d'un église  et un portrait de Th. Botrel en chapeau et gilet bretons ourlé de fleurs d'ajoncs afin de permettre son identification.

            Le même procédé de récupération ou de subversion à des fins de réplique et d'exorcisme, sera appliqué quelques années plus tard, à "L'Internationale" avec "La Terre nationale. Réponse à l'Internationale, dédiée à tous les patriotes français" (16), dont le refrain dit :

 

"C'est la Terre nationale

Qui de nos morts est l'immense tombeau

Pour garder la Terre natale

Soyons tous prêts à risquer notre peau

Pour la Terre nationale

Serrons nos rangs sous le même drapeau".

 

            C'est sans doute dans Coups de clairon  -celui qui "sonne l'Alerte" dès que l'on touche à "la Croix, au Drapeau et à l'Armée"-, sous-intitulé "Chants et poèmes héroïques " et publié en 1903, que Botrel réagit à l'actualité de la façon la plus politique et militante, mais plus distanciée, sauf dans la partie intitulée "Pour la liberté" où sont fustigés Emile Combes et les "Proscripteurs" de 1902, à un moment où se met en œuvre, avec une vigueur accrue, la loi de 1901 sur les associations et donc les congrégations. Il faudrait en faire une étude particulière...

            Par la suite, si l'engagement de Botrel aux côtés de Taldir dans le comité du calvaire de Tréguier, en réponse au monument dressé à la mémoire d'Ernest Renan, ne semble pas avoir donné lieu à chanson (cf. Gasnier, 1988), en revanche, en 1908, à l'occasion du transfert des cendres de Zola au Panthéon, Botrel mettra en vers et chantera son indignation scandalisée dans la "chanson d'actualité" intitulée "Zola au Panthéon"  qui permet d'illustrer la façon qu'a Botrel de traiter politiquement l'actualité (17). Sur un air apparemment original mais au simple service d'un discours porté par l'emphase de celui qui le chante, Botrel s'adresse successivement au "beau paysan" qui n'est pas celui du "livre sinistre" La Terre, au "brave ouvrier" qui n'est pas celui qu'on trouve dans les "pages lubriques" de L'Assommoir et enfin au "fier vaincu" qui n'est pas le soldat de La Débâcle avant de conclure avec ce quatrième couplet :

 

"Zola pour nous servir d'exemple

Servir d'exemple à nos enfants

Va reposer dans le Saint Temple

Où sont nos aïeux triomphants.

Debout Victor Hugo !

Debout Lannes !, Debout Marceau !

La Tour d'Auvergne et les Carnot !,

Allez dormir aux Invalides

Et laissez dans vos tombes vides

Zola

Prendre la Mouchette et Nana" (18)

 

                       

Un chansonnier engagé.

             L'engagement "politique" du "chansonnier breton" Théodore Botrel ne fait donc aucun doute, comme auteur-compositeur et comme interprète, et il se poursuivra jusqu'à  son engagement, au sens militaire et combattant du terme, durant la Première Guerre Mondiale.

            Que les chansons en résultant -charges d'actualité ou contre-hymnes- n'aient guère laissé de trace, cela n'étonnera pas : "arme vocale", la chanson politique (ou patriotique) tend, sauf exception, à disparaître avec la circonstance qui l'a motivée et qui s'en plaint ? Même pas le chansonnier dont la profession est de répondre à une demande en tous genres (de la romance au pamphlet) -il est engagé autant qu'il s'engage- et c'est bien ce que fait Botrel, depuis le début, jusqu'à la fin. A cet égard, le rôle médiatique de la chanson à travers sa consommation sous forme de spectacles et de partitions mais encore plus par sa capacité à être reprise et appropriée par la voie de l'oralité et sa place dans l'industrie culturelle restent encore largement à apprécier, pour Botrel et la plupart des chansonniers.

            Ce qui distingue Botrel des autres, c'est peut-être l'étendue de son activité de création puisqu'il multiplie également les poésies à dire et à lire, le plus souvent patriotiques, et les monologues, saynètes et pièces de théâtre. Mais c'est surtout le fait qu'il soit aussi l'interprète -avec beaucoup d'autres- de ses propres œuvres avec ses "auditions dans les concerts et les salons", sur scène: il faut certainement chercher dans la "performance" du chansonnier et de l'acteur militant et itinérant une grande partie de son succès d'alors, et l'expression de ses convictions d'apôtre de la "bonne chanson" comme il pouvait y avoir une "bonne presse" ou de "bonnes lectures".

            Il s'y donnait —on l'a — corps et voix.

 

Jean-François Botrel (Univ. Rennes 2)

 

 

Bellanger (Claude), Godechot (Jacques), Guiral (Pierre), Terrou (Fernand), Histoire générale de la presse française. t. III. De 1871 à 1940, Paris, PUF, 1972.

 

Botrel, Jean-François, "La Paimpolaise" (1895-1995) : histoire d'une chanson", Le pays de Dinan, XV, 1995, p. 173-203.

 

Botrel, Théodore, Les souvenirs d'un barde errant, Paris, Bloud et Gay, 1926.

 

Paul Brochon, Le Pamphlet du pauvre (1834-1851), Paris, Editions sociales, 1957, p. 204.

 

Gasnier, M., La destinée posthume de Renan de 1892 à 1923. Essai sur une réception idéologique, Thèse. Université de Bretagne Occidentale, 1988.

 

Morice, Bernard, Du Maréchal Ney au Général Noguès. Les procès de Haute Justice au palais du Luxembourg, Paris, Editions France-Empire, 1972.

 

Prieur, Léon, La Haute-Cour. Impressions d'un Français. Préface de François Coppée, Paris, E. Flammarion, 1899-1900.

 

Rebérioux, Madeleine, La République radicale , Paris, Seuil, 1975.

 

Thiesse, Anne-Marie, Ecrire la France, Paris, PUF, 1991.

 

 

1. Selon le Sous-Préfet du Finistère en 1899, "on connaît ses tendances royalistes" et, en 1901, le Commissaire spécial des Chemins de fer de Brest voit en lui un "fervent nationaliste et (un) clérical convaincu, mettant son nom aussi bien au service du clergé qu'au service des adversaires des institutions républicaines et gouvernementales", un "poète inféodé aux adversaires du gouvernement" (cf. AD29-1-M-182). Je dois la connaissance de ces deux documents à André Kervella.

 

2. Je dois la connaissance de cet exemplaire conservé au Musée d'Art et d'Histoire de Cholet à Jean-Paul Dumont.

 

3. "Si la Nation française/réclame son Roi, Son Roi ! Tout comme en Quatre-vingt-treize,/Luttons pour le Roi ! Le Roi !/S'il le faut, l'âme sereine/Marchons à la Mort, dondaine/Ah ! ah! ah!Debout les gâs ! /Vive le Roi !". Dans "A la santé du Roi", les termes sont particulièrement sanguinaires :  "le terrible Grégoire/A soif du sang des "Bleus !"/A boire ! à boire !! à boire !!!/Buvons le sang des "Bleus !".

 

4. "Dans le Jardin de France/Les Lys vont refleurir"  ("Dans le jardin de France")

 

5. La Ligue antisémitique, avec ses commanditaires royalistes, était présidée depuis 1896 par Jules Guérin, en Septembre 1898, La Ligue des Patriots avait été remise sur les rails par Paul Déroulède, la Ligue de la Patrie Française, portée sur les fonds baptismaux par Jules Lemaître et François Coppée -dont on saisit des lettres au domicile de Botrel- achève de s'organiser en février 1899.

 

 

6. Le titre "La Faubourienne" avait déjà été utilisé par Auguste Allais pour une chanson antérieure à 1851 sur l'air de "La Varsovienne" de Casimir Delavigne : "Ministres vils, lâches usurpateurs/Tribuns vendus, Judas Iscariotes/Le jour a lui, des grands faits destructeurs/Tombent sanglants sous le fer des Ilotes" dit le 2e couplet, et le 4e : "Place au peuple affranchi de maîtres abhorrés" (apud Brochon, 1957, 204).

 

7. "Monsieur d'Charette a dit à ceux d'Ancenis (bis)/ Mes amis/ Le roi va ramener leurs fleurs de lys", avec le refrain suivant : "Prends ton fusil Grégoire/ Prends ta gourde pour boire, /Prends ta vierge d'ivoire, /Nos messieurs sont partis, /Pour chasser la perdrix (pour aller à Paris)".

 

8. A la suite de perquisitions effectuées chez les chefs royalistes, il est saisi chez G. de Monicourt , le secrétaire du "Prétendant", Philippe d'Orléans, une lettre de Th. Botrel en date du 15 août 1899 et c'est ainsi que le chansonnier militant se trouve impliqué et sera appelé à témoigner lors du Procès en Haute-Cour dit du "Grand Complot". Sur commission rogatoire de René Bérenger, Président de la Commission d'Instruction de la Haute Cour de Justice, des perquisitions sont menées les 12 et 29 septembre, au domicile parisien de Botrel (cf. "Perquisitions. Haute Cour de Justice. Paris. Botrel". Cote n° 146 et Pièces 401 à 404) et celui-ci, se trouvant au Port-Blanc, est invité à déposer le 1-X-1899, devant le juge de paix de Tréguier (pièce 124) pour expliquer le sens de la mission qui lui aurait été confié par le duc d'Orléans (un costume breton) et d'une phrase énigmatique contenue dans une lettre adressée par lui à de Monicourt : "Les événements se précipitent et je suis heureux de songer que le sort de mes vieux sera assuré. C'est la seule chose qui me préoccupe !". Il s'en justifie.

 

9. Pour Léon Prieur (1899, 329), par exemple,  "il semblait à ce moment que ce fut la Bretagne elle-même, debout à la barre, la fruste et fidèle Armorique en apportant aux accusés la consolation de ses parfums des grandes landes, où l'idée de la Patrie et l'idée de Dieu fleurissent vivaces comme la bruyère et le genêt".

 

10. Drame en vers en 3 actes, Paris, Calmann Lévy, 1896.

 

11. Prieur, 1899, 332-33. Ce moment a pu bénéficier d'un début d'amplification puisque, selon B. Morice (1972, 302), "les spectateurs, amusés, le supplient de continuer » et qu’il est même  applaudi par une partie des juges, les accusés et le public des tribunes…

 

12. Botrel poursuit ainsi sa déposition : "Je fis cette chanson, et M. de Fréchencourt, au nom de M. Buffet, me fit dire : "Botrel, si par hasard on voulait vous avoir dans le parti de Déroulède, méfiez-vous. C'est un piège à loup, à loup breton qu'on vous tend. Faire de la propagande pour Déroulède c'est faire de la propagande contre nous".

            Du reste, Me Falateuf doit avoir ces lettres dans son dossier. Paul Déroulède que des amis avaient tâté à ce sujet me faisait dire : "Botrel, en qualité de poète, de patriote, je vous aime beaucoup. Vous m'avez fait une chanson qu'on m'a communiquée, mais il y a dedans des choses qui pourraient me nuire auprès de mes amis, car je suis républicain, et votre chanson, un peu royaliste, un peu chouanne, pourrait me compromettre. Vous vouliez me rendre populaire avec votre chanson, je vous prie de ne jamais la dire dans aucune de vos réunions, parce que rien que votre voix et votre costume breton pourraient me compromettre" (L'Eclair, 20-XII-1899).

 

13. Lubo, Editeur 240, Rue Championnet. Paris (Prix net : 0 fr. 50). La confusion possible avec un autre Béranger ne pouvait encore à l'époque qu'être favorable à la vente de la chanson...

 

14. Il s'agit des lettres saisies au domicile de Th. Botrel, 44 rue Danrémont à Paris, le 25 septembre 1899.

 

15. Il s'agit de la maison Pellerin (cf. BNF-Estampes-Images d'Epinal. T. XII, 1900-1905 Li 59) qui précise : "Pour l'achat de la présente image d'Epinal, en gros, s'adresser directement à la Maison Pellerin et Cie, à Epinal (Vosges) Prix : 3 fr. le Cent-12 fr. 15 les Cinq Cents-21 fr. 60 le Mille-Franco Domicile". Dans les années 1890-1910, cette maison semble s'être prêtée à la sous-traitance pour des "sociétés d'image" travaillant pour le compte de "politiques".  L'édition de "La Catholique" se situerait dans cette ligne ainsi que celle du "Député ouvrier" ou "Vive le liberté ou L'appel" (Adaptation au chant "Le Clairon" de Paul Déroulède), ici pour la Ligue des Femmes Françaises). "La Catholique. Réponse à La Carmagnole" (sur l'air de La Carmagnole) fut également éditée en partition "Piano et Chant" (1 fr 50) et en petit-format (chant seul, 0 fr.50) chez G. Ondet (dans la série "Coups de Clairon (Chants et poèmes héroïques") (1ère série).

 

16. Cf. La Bonne chanson  n° 15 de janvier 1909. La chanson sera recueillie en 1915 dans les Refrains de guerre (1ère série). Les chants du bivouac (Paris, Payot, 1915).

 

17. Cf. Société d'Editions de Disques Artistiques n° 701 (701.701 WA) (3'01) (in Théodore Botrel Le chansonnier breton et ses interprètes 1898-1948CD n°1/23EPM Musique 1999).

 

18. Dans La Bonne Chanson, n° 9 de Juillet 1908 (p. 217), Botrel publie, en outre, "Le vrai Panthéon" où il imagine le dialogue entre un parisien et un soldat ayant mené Zola au Panthéon qui se conclut ainsi : "Le soldat : Hugo, Coppée et Béranger/Je les connais et les honore.../Mais ce Zola m'est étranger. /Le parisien : Parbleu, l'ami, la chose est claire,/Le vrai Panthéon le voilà :/C'est le bon grand Cœur populaire/Où n'entrera jamais Zola !".