De l’imprimé au lecteur. À propos de l’Historia de la edición y de la lectura en España (1572-1914)[1].


 (in : Le livre et la bibliothèque : la quête des savoirs et de la culture. Mélanges offerts à Marcel Lajeunesse, Carol Couture et Éric Leroux dir., Presses de l’université de Québec, 2023, pp. 149-161).

 

           Cette histoire de l’édition et de la lecture en Espagne, limitée à la période 1572-1914, s’est présentée tardivement par rapport à d’autres histoires nationales.

           En effet, s’il existait des histoires générales ou synthétiques[2], et si une « histoire illustrée » du livre espagnol avait été publiée entre 1993 et 1996[3],  il a fallu attendre l’initiative de Víctor Infantes et François Lopez, à la toute fin du XXe   siècle, pour qu’une véritable réflexion sur les conditions de réalisation d’une histoire de l’édition et de la lecture soit initiée et un projet défini, auquel, sur invitation de l’éditeur, s’est joint J.-F. Botrel pour la période contemporaine.

           Il s’agit d’une œuvre collective : trois directeurs et 45 collaborateurs qui se sont chargés d’organiser et/ou de rédiger les 71 chapitres des trois parties correspondant à trois périodes : 1472-1680, 1680-1808, 1808-1914.  Elle a été réalisée entre septembre 1998 et juin 2002 et publiée à l’automne 2003, le jour anniversaire de la mort de Miguel de Cervantes, aujourd’hui célébré comme « día del libro » (jour du livre).

           De caractère compact (2 200 g) mais de dimensions modestes[4], cette histoire est à la fois ambitieuse et conforme, puisqu’elle s’inscrit dans la longue durée mais dans des frontières —variables, selon que « Nouveau Monde » y est ou non compris—, et dans un espace qui n’est que tardivement devenu « national[5] ». Elle présente sans doute l’originalité de vouloir être autre chose qu’une histoire du livre espagnol, pourtant à compléter —notamment pour la période la plus contemporaine—, et de vouloir considérer en même temps les projets ou stratégies des éditeurs et les attentes ou usages des lecteurs, dans un pays où, rappelons-le, la masse des textes imprimés représente à peine un dixième de ce qu’elle a pu être dans des pays comme l’Allemagne, l’Angleterre ou la France.

           Dans ces conditions, comment peut-on caractériser le projet et les éventuels acquis d’une entreprise qui, de toute évidence, devra elle-même être complétée et dépassée ?

 

Les présupposés et le projet. Dans un préambule à l’histoire proprement dite[6], il est fait état, sur le mode rétrospectif mais également méthodologique, de tous les apports de la bibliographie analytique (bibliology), au moins pour la période classique, et de l’étude des aspects économiques de l’édition et des acteurs/agents, à une histoire du livre jusqu’alors bibliographique et descriptive qui s’est, de ce fait, progressivement transformée en histoire de l’édition. Malgré l’absence signalée d’outils bibliographiques et bibliométriques qui s’expliquent en partie par la configuration politique et géographique imposée pendant des siècles par la monarchie espagnole et non résolue par l’État libéral, mais aussi par l’importance des centres typographiques étrangers qui l’ont alimentée et les désastres de la Guerre d’indépendance, cette histoire essaie, pour la première fois au moins en Espagne, de prendre en compte la production éditoriale et ce que suscitent sa demande, son acquisition et sa consommation, soit le passage du champ économique au champ culturel que représente la lecture qui a toujours été intimement associées aux révolutions du livre pour différentes finalités et modes d’appropriation : « pour l’appréhender, pour l’exalter dévotement en priant ou méditant, pour s’évader avec son aide sur les ailes d’un rêve désiré » . C’est sans doute l’association intime et problématisée de cette double perspective qui fait l’originalité majeure de cette histoire de l’édition et de la lecture.

           Il est également rappelé tout ce que l’histoire de la lecture doit aux meilleures études philologiques et à l’exploitation des inventaires après décès qui, malgré leurs insuffisances, témoignent en Espagne de la perméabilité du monde de la culture savante à celui de la culture populaire et réciproquement. La recherche récente s’est d’ailleurs attachée à révéler les pratiques lectrices des couches populaires, mais aussi des femmes, la collecte des témoignages sur la lecture (ou de ses représentations) étant loin d’être achevée.

           Ce que pourrait être une histoire de la lecture fait enfin l’objet d’un essai de définition : « une recherche visant à éclairer les modalités, pratiques et usages, de même que les circonstances et plus particulièrement les effets […] de l’activité de lecture, dans le processus pluriséculaire d’incorporation (ou de non incorporation) à la culture écrite et imprimée »[7].

           Il s’agit d’une entreprise volontairement pluridisciplinaire qui réunit des historiens de la culture, de l’illustration du livre, de la bibliographie matérielle, de la bibliométrie, de l’éducation, des idées religieuses, de la langue, de la littérature ou de la presse, etc., universitaires ou bibliothécaires d’Espagne, de France, du Portugal, de Grande Bretagne et du Mexique, qui, bien que partant de bases et formations différentes, prétendent allier leurs différents points de vue et les faire converger, la pluralité de ces regards critiques étant réputée porteuse de méthodologies d’analyse novatrices.

           L’inscription dans la longue durée doit permettre de percevoir les évolutions survenues au long des  trois périodes distinguées : de l’aube de l’imprimerie hispanique jusqu’à la césure d’ordre culturel –et non technique- que représente le Temps  des novatores, soit la fin du XVIIe siècle, moment de l’introduction en Espagne de la philosophie et de la science modernes, puis à partir de la deuxième révolution de l’imprimé, avec la généralisation de la presse et l’émergence de nouveaux lecteurs, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

           Une attention toute particulière est prêtée aux bases documentaires, représentées, après sélection, par 85 illustrations, 136 documents et une copieuse bibliographie de 80 pages, actualisée au 20 novembre 2002[8].

           Enfin, il faut sans doute évoquer la présence sous-jacente dans cette Historia… de certains modèles, principalement l’Histoire de l’édition française dirigée par H.-J Martin et R. Chartier[9] —José Luis de Diego l’a bien perçue[10]—, et, pour la partie contemporaine, des travaux menés par J.-Y Mollier ou F. Barbier.

           Tels furent les présupposés et le projet. Pour quelle mise en œuvre et quels résultats ?

 

La mise en œuvre. Sauf le découpage chronologique et la contrainte éditoriale consistant à présenter la matière en chapitres de 25 000 caractères[11], accompagnés de documents et d’illustrations, qui s’imposait à l’entreprise,  chaque partie a été conçue et l’écriture des différents chapitres confiée à des chercheurs par chacun des directeurs de façon autonome, l’architecture de chacune des parties et les intitulés des différents chapitres pouvant, en soi, faire sens et permettre d’utiles comparaisons, avec sans doute pour résultat une meilleure adéquation aux différentes périodes traitées, mais aussi une éventuelle impression d’hétérogénéité[12].

           L’examen des « entrées » au total retenues fait clairement apparaître la faible part accordée —comme pour mémoire— à la production matérielle ou à la statistique[13] ; si la question de la législation ou des censures, de l’auteur  et de l’imprimeur-libraire-éditeur selon les époques et la diffusion n’est évidemment pas ignorée[14], c’est presque toujours en liaison avec l’incidence qu’ont pu avoir ces facteurs sur la lecture, les lecteurs et leur évolution, avec la progressive constitution d’un public. De la même façon, les typologies éditoriales ou les catégories retenues sont mises en rapport avec les attentes de lecteurs qui font souvent fi des frontières qu’on prétend établir dans la culture de l’imprimé et dans ses usages[15]. De ce fait, l’architecture de cette histoire s’attache à rendre compte de l’effective circulation de l’imprimé —y compris de la presse[16]—, de ses réceptions et appropriations dans la variété des lectures, du point de vue d’un lecteur historique : plus de la moitié des chapitres est d’ailleurs consacrée à ces points de vue et attentes des lecteurs, ainsi qu’aux discours et pratiques qui les accompagnent.

           Fruit de l’air du temps ou, au contraire, d’une lente maturation, l’enfant (pas simplement sous le biais du livre de classe et de ses usages pédagogiques) et la femme lectrice font l’objet d’un intérêt spécifique, y compris pour des siècles où on avait peu l’habitude de considérer ce type d’aptitudes ou d’intérêts[17]. Symptomatique à cet égard est l’illustration retenue pour la couverture : une femme peinte par Ramón Casas pour la couverture de la revue catalane Pèl & Ploma en 1901 (sans doute lors d’un de ses séjours à Paris), qui est  représentée au milieu des livres d’une bibliothèque et semble juste émerger de la lecture d’une revue intitulée ART.

           On peut enfin s’interroger sur ce qui, dans cette l’histoire de l’édition et de la lecture en Espagne, légitime ou questionne le cadre national et dont rendent compte plus particulièrement certains chapitres : c’est bien sûr la multi puis la bipolarité de la production lu livre et de l’imprimé (Madrid et Barcelone),  les importations de livres —certains édités en espagnol à l’étranger— mais aussi les exportations en direction des colonies puis des républiques hispano-américaines[18], ou encore la question de la langue ou des langues pour des textes qui ont souvent circulé en se moquant des frontières, grâce aux exportations/importations clandestines ou à la traduction. Au-delà des chapitres qui traitent de ces aspects, c’est la conception même d’une histoire nationale ou comparative de l’édition et de la lecture qui est implicitement en cause.

          

Les résultats. Si, après avoir remarqué avec Philippe Castellano que « le choix de cette période longue permet d’apprécier à quel rythme inégal l’Espagne entre dans la modernité »[19], on examine les résultats pour la seule période contemporaine, on doit tout d’abord évoquer les acquis encore insuffisants de la recherche dont l’ouvrage témoigne évidemment [20]. C’est ainsi par exemple que les éditeurs barcelonais restent un peu dans l’ombre[21] et les bibliothèques privées ou publiques en pointillé[22], et que tout ce qui renvoie aux aspects formels ou esthétiques du livre, au para ou péri-texte, à la mise en livre ou en page, à l’espace visuel ou à l’énonciation éditoriale, ne peut être qu’évoqué que comme objectif, tout comme la dimension anthropologique du rapport au livre[23]. Quant aux pratiques d’écriture ou manuscrites —comme celle de la copie— elles ont quasiment ignorées, malgré leur lien évident avec la lecture et la culture de l’écrit ou de l’imprimé[24].

           Dans l’économie des 25 chapitres finalement alloués à la période 1808-1914 et rédigés par 17 collaborateurs experts, on remarquera que figurent pour mémoire, dans la mesure où existent des travaux plus exhaustifs, avec des informations synthétiques concernant le livre et les conditions matérielles de sa production. En revanche, une approche nouvelle de l’écrivain considéré dans le champ littéraire permettra sans doute quelques avancées dans ce domaine, tout comme le traitement chronologique, sociologique et générique des différents lecteurs —notamment des nouveaux lecteurs—et des différentes lectures, y compris celles de l’image, de la musique ou de la poésie, et des attentes qui les sous-tendent comme la formation, l’information ou le divertissement. Le chapitre 5.5 intitulé : « recrearse con prosa » (la récréation par la prose) peut être considéré comme emblématique à cet égard.

           Avec l’importance accordée à l’apparition de nouveaux lecteurs, on court évidemment le risque de minorer le poids et l’influence dans la durée des lecteurs à l’ancienne —y compris les bibliophiles— ou des non-lecteurs avec leurs stratégies de substitution, dont rendent compte par ailleurs les modalités d’apprentissage et les discours sur la lecture : l’histoire culturelle de l’imprimé éprouve encore une certaine difficulté à rendre compte des permanences.

           Au total, c’est peut-être à travers la prise en compte, à côté du livre,  de la presse et, dans une moindre mesure, d’autres imprimés et d’autres formes de consommations liées aux spectacles ou à la lecture graphique que se trouve le mieux explicitée l’évolution limitée et pourtant présentée de façon traumatique par l’Église catholique espagnole, par exemple, d’une lecture socialement plus partagée, y compris dans ses nouvelles modalités, liées à de nouveaux rythmes (la lecture de chaque jour) ou à de nouvelles formes et contenus, comme les feuilletons traduits du français, pour prendre un exemple. qu’explore, depuis 1981, le groupe de recherche PILAR (Presse, Imprimés, Lecture dans l’Aire Romane).

                 

Conclusion. Cette histoire de l’édition et de la lecture, construite comme une fresque en mosaïque, peut donc être considérée comme un moment, entre bilan et programme[25]. Dans des conditions éditoriales autres, elle serait aujourd’hui évidemment encore mieux informée et plus complète, mais aussi moins fragmentée, pour permettre une meilleure prise en compte des interactions, permanences et/ou évolutions.

           On peut, cependant, tenir pour un acquis relativement novateur le fait qu’elle envisage l’imprimé sous toutes ses formes ainsi que toutes les pratiques à lui liées et pas seulement le livre. Le fait aussi que soit, somme toute, privilégié le point de vue des lecteurs : des lecteurs émergents et/ou jusqu’alors souvent ignorés, comme les femmes, les enfants ou le peuple… Avec l’intérêt manifesté pour des catégories comme la prose, le roman, la poésie ou le théâtre mais aussi le champ littéraire, la réception, les traductions ou les modalités de constitution d’une littérature « nationale », cette histoire peut être considérée comme un outil de dialogue avec l’histoire littéraire, en invitant celle-ci à faire investir ses catégories habituelles par des lecteurs historiques, en prenant en compte leurs attentes et leurs pratiques, mais aussi avec l’histoire culturelle puisqu’aussi bien cette histoire de l’édition et de la lecture est une contribution à  l’histoire culturelle des médiations et médiateurs mais aussi des pratiques culturelles [26]

           Avant et après cette histoire générale, d’autres histoires, temporellement plus limitées, ont été publiées, sous la direction de Jesús Antonio Martínez Martín, par exemple[27]. À Alcalá de Henares, sous la direction d’Antonio Castillo Gómez, les travaux et publications du Seminario Interdisciplinar de Estudios sobre Cultura Escrita (SIECE) en matière d’histoire culturelle de l’écrit, répondent à des questionnements pluridisciplinaires et transnationaux, dans la longue durée ; outre les onze numéros de la revue Cultura Escrita & Sociedad, éditée par Trea entre 2005 y 2010, plus de 30 publications, fruits en particulier des nombreux séminaires, colloques et congrès organisés sous son égide, ont ainsi vu le jour depuis le début du XXe siècle. A Barcelone, on doit au Grupo de estudio del patrimonio bibliográfico y documental de la universidad de Barcelona (Lluis Agustí, Mònica Baró, Pedro Rueda) plusieurs thèses et publications sur l’histoire du livre et de l’édition en Catalogne. Depuis 2015, à Saragosse, la revue Titivillus se consacre principalement à l’histoire du livre ancien, sous la direction de Manuel José Pedraza Gracia. Dans les bilans bibliographiques limités à la période contemporaine 1833-1936, que j’ai effectués depuis 1995 —le dernier en 2021[28]—, on pourra trouver l’essentiel des nouveaux apports à la connaissance de ce champ de recherche.

         Après la « Biblioteca del libro » de la Fundación Germán Sánchez Ruipérez, prolongée dans une certaine mesure par les initiatives de la Casa del Libro à Madrid, ce sont les éditions Trea, fondées en 1991 à Gijón (Asturies) qui, avec leurs collections « Biblioteconomía, Documentación e información, Archivística » et « Edición y tipografía. Historia de la cultura escrita », ont pris le relais, avec plus de 30 titres publiés. Les deux derniers ouvrages parus invitent aussi bien à des réflexions théorico-pratiques sur l’histoire de l’édition[29], qu’à une plongée particulièrement documentée dans le monde du grand éditeur barcelonais Pablo Salvat Espasa[30].

           S’agissant de l’histoire culturelle de l’écrit, reste à poursuivre la tâche pour la fin du XXe siècle[31], en souhaitant que les indispensables sources aient été plus conservées que pour le XIXe siècle[32], et soit accessibles. Un site comme EDI-RED a, en particulier, le mérite de sensibiliser l’ensemble des acteurs à cette dimension fondamentale de la recherche[33]. Il manque encore sans doute que les bases statistiques et matérielles soient enfin mieux établies, par le biais d’un traitement systématique ou de monographies[34], afin d’être mises à distance et en perspective, mais aussi, à l’instar des travaux menés au Mexique ou au Brésil[35], ou encore au Québec, que les gens du livre et l’édition —y compris les bibliothécaires !— soient plus résolument considérés comme des acteurs d’un changement culturel perçu dans la durée et confronté aux résistances et permanences, dans un espace dont les frontières nationales seraient moins marquées et —pourquoi pas ?— oubliées[36].

           Bref, une autre histoire —culturelle-— de l’imprimé est au bout du chemin.

                                                                               

                                            Jean-François BOTREL (Université Rennes 2).

 

 

 



[1] Infantes, Víctor, Lopez, François, Botrel, Jean-François, Historia de la edición y de la lectura en España (1572-1914). Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 2003, 862 p., 25 cm.

[2] Outre la classique introduction à l’histoire du livre et des bibliothèques d’Agustín Millares Carlo (Introducción a la historia del libro y de las bibliotecas, México, Fondo de Cultura Económica, 1971), il existait une Historia del libro (Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 1984) et un Manual de historia del libro (Madrid, Gredos, 2000) d’Hipólito Escolar, largement dépassés depuis, sur le plan méthologique, par l’excellente synthèse (en 160 pages) d’Antonio Castillo Gómez (Historia mínima del libro y la lectura, Madrid, Sietemares, 2004).

[3] Cf. Escolar, Hipólito (dir.), Historia ilustrada del libro español. Los manuscritos. De los incunables al siglo XVIII. La edición moderna. Siglos XIX y XX, Madrid, Pirámide/Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 1993, 1994, 1996, suivie d’une histoire synthétique du livre espagnol (Historia del libro español, Madrid, Gredos, 1998). D’autres histoires sectorielles ou chronologiquement limitées du livre, de l’édition ou de la lecture ont ensuite été produites, comme celles sur « lire et écrire » (Escolano Benito, Agustín (dir.), Leer y escribir en España. Doscientos años de alfabetización, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez/Pirámide, 1992), et sur le livre scolaire (Escolano Benito, Agustín (dir.), Historia ilustrada el libro escolar en España. I. Del Antiguo Régimen a la Segunda República, II. De la posguerra a la reforma educativa, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, Ed. Pirámide, 1997-1998). D’autres projets initiés par Herbert Göpfert et Reinhard Wittmann, au début des années 1980, et Alberto Martino, au début des années 1990, n’ont pu aboutir, s’agissant de l’Espagne.

[4]  862 pages 19 x 25 cm, sur deux colonnes, à comparer aux 2 434 pages de l’Histoire de l’édition française, aux 813 pages consacrées dans l’History of Book Publishing in the United States de John Tebbel à la seule période 1865-1919, ou encore aux 9 volumes de The Cambridge History of the Book in Britain et aux trois volumes de l’History of the Book in Australia, mais aussi au fort volume consacré à l’édition italienne contemporaine (Turi, Gabriele (dir.), Storia dell'editoria nell'Italia contemporanea, Firenze, Giunti, 1997), aux trois volumes de l’Histoire de l'édition littéraire au Québec au XXe siècle. La naissance de l'éditeur. 1900-1939, dirigée par Jacques Michon (Fides, 1999), ou aux 477 pages consacrées par François Vallotton à L'édition romande et ses acteurs. 1850-1920 (Genève, Slatkine, 2001), pour prendre quelques références.

[5]  A la dimension « nationale » de l’espace traité correspond, par exemple, le choix d’illustrations espagnoles et non étrangères (sauf une ou deux exceptions), mais aussi la place faite aux productions dans d’autres langues que le castillan (comme le catalan) et l’évaluation de tout ce qui, à partir des années 1830, répond aux besoins d’invention d’une nation. On pourra observer, en revanche, que l’usage du « nous » inclusif et implicite est généralement exclu et que la référence à des dépendances, davantage liées ici à la circulation des textes et des images qu’aux technologies, n’est évidemment pas éludée.

[6] « Preliminar. Una historia de la edición española », pp. 13-20.

[7]  P. 18.

[8] Ces illustrations, à valeur informative plus que simplement illustrative (en témoignent les légendes), présentées sous forme de trois « appendices photographiques » en couleur, ont permis, le cas échéant, de palier certaines lacunes dans les textes, mais doivent aussi permettre la perception de l’importance, dans le monde de l’imprimé et de la lecture, des éléments iconiques, des interventions manuscrites de lecteurs,  des changements intervenus dans l’être physique de l’imprimé (avec, par exemple, l’apparition de la couleur dans les illustrations ou l’impression), en même temps que la représentation de situations de lecture.

[9] Roger Chartier est d’ailleurs un des collaborateurs de la Première partie (cf.  « El concepto de lector moderno », pp. 142-150).

[10] La otra cara de Jano. Una mirada crítica sobre el libro y la edición. Buenos Aires, Ampersand, Colección Scripta Manent, 2015, p. 98.

[11] Après discussion, la période 1808-1833 a, par exemple, été rattachée à la Troisième partie. Quant à la commande passée aux collaborateurs pour chaque chapitre, elle portait sur « 10 pages DIN-A4 de 35 lignes accompagnées de deux illustrations et deux documents et de 20 à 30 notes ».

[12]  On pourra ainsi remarquer, par exemple, que l’intérêt manifesté dans la première partie pour la question des langues ou les formes éditoriales n’est plus aussi soutenu par la suite, que l’importance accordée aux marchés extérieurs (dont les colonies) ou aux différentes façons de lire n’est pas égale, ou encore que la vision des XVIIe et XVIIIe siècles accorde davantage de place aux idées. En revanche, sans que cela se traduite par une insistance explicite, on pourra percevoir, au fil des pages, toute la place qu’a tenu en Espagne l’Église catholique dans le domaine de l’imprimé et de la lecture.

[13] S’il n’y a pas de statistiques dans la première partie, la deuxième leur accorde une certaine importance, qu’on retrouve sous forme de quelques tableaux dans la troisième.

[14] Au total, moins d’un tiers des chapitres est consacré à l’ensemble de ces questions et on pourra être surpris de la faible place accordée à des thèmes traditionnels comme l’Inquisition ou les inventaires de bibliothèques, ainsi qu’à la lecture publique.

[15] Les titres de différents chapitre témoignent  de cette volonté:  « La lecture pour la formation et le didactisme », « La lecture littéraire, de loisir et d’information », « La lecture scientifique, technique et humaniste », « La littérature spirituelle et d’édification », « La lecture graphique », « Textes scolaires et didactiques », « Pour tous : livrets de colportage et livres d’assortiment », « Œuvres petites et grandes de dévotion », « Livres pour l’apprentissage des langues étrangères », « Le livre et l’édification », « L’édition scolaire sous la Restauration », « Lectures instructives et utiles », « Les lectures pour enfants », « La lecture de chaque jour », etc.

[16] Après des références aux imprimés d’information dans la Première partie, deux chapitres lui sont consacrés dans la Deuxième et trois dans la Troisième.

[17] Cf. « Las lecturas femininas »  (Les lectures féminines) (pp. 159-170), « Nuevas propuestas a un público femenino » (Nouvelles offres pour un public féminin)(pp. 481-491) et « La mujer lectora » (La femme lectrice) (pp. 745-753).

[18] Une histoire de l’imprimé en Espagne ne peut évidemment pas restreindre son champ à l’Espagne péninsulaire, mais doit impérativement prendre en compte, y compris après les années 1820, l’existence d’un important marché de lecteurs hispanophones en Amérique latine.

[19] Castellano, Philippe, Compte-rendu de : Infantes, Víctor, Lopez, François, Botrel, Jean-François, Historia de la edición y de la lectura en España (1572-1914). Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 2003, Revue historique, 633 (Janvier 2005), pp. 229-230.

[20]  Cf. Botrel, Jean-François, "Les recherches sur le livre et la lecture en Espagne (XVIII-XXe siècles)", Bulletin de la Société d'Histoire Moderne et Contemporaine (supplément à la Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, t. 4l), l994/3-4, p. 49-57, et "Historia del libro/historia de la cultura escrita ", in : Castro, Xavier, Juana, Jesús de (dir.), XI Xornadas de Historia de Galicia. Historia da cultura en Galicia, Ourense, Deputación Provincial de Ourense, 2002, pp. 217-250.

[21] L’histoire de l’édition en Catalogne de Manuel Llanas et, en particulier, les tomes consacrés au XIXe (avec la collaboration de Montse Ayats) et au XXe siècle (L'edició a Catalunya: el segle XIX, Barcelona: Gremi d'Editors de Catalunya, 2004 et L'edició a Catalunya: el segle XX (fins a 1939), Barcelona: Gremi d'Editors de Catalunya, 2005) permet aujourd’hui de corriger ce défaut. Un autre tome est consacré à la période 1939-1975 (Llanas, Manuel (amb la col.laboració de Montse Ayats), L’edició a Catalunya : el segle XX (1939-1975), Barcelona, Gremi d’editors de Catalunya, 2006).

[22] Il n’existe pas encore, pour l’Espagne, d’histoire générale des bibliothèques. Signalons néanmoins, outre l’ouvrage de Historia de la lectura pública en España de Luis García Ejarque (Gijón, Ed. Trea, 2000) et les deux ouvrages de Genaro Luis García López sur la naissance des bibliothèques publiques (Libros para no leer: el nacimiento de la política documental en España, Gijón, Trea, 2004 ; La lectura como servicio público: análisis de la Administración pública en los orígenes del sistema bibliotecario español, Gijón, Trea, 2006), un fort courant d’intérêt pour les différents dispositifs ayant existé en Catalogne en matière de lecture publique, en particulier : Lectura i biblioteques populars a Catalunya : 1793-1914, de Montserat Comas i Güell (Barcelona : Curial Edicions Catalanes : Publicacions de l'Abadia de Montserrat, 200, Les Biblioteques populars de la Mancomunitat de Catalunya : (1915-1925) de  Teresa Mañà (Lleida, Pagès, 2007), Una Aportació a la lectura pública del segle XX : les biblioteques de "la Caixa" (1923-1993) de Maria-Teresa. Miret i Solé et Assumpta Bailac i Puigdellívol (Barcelona : Diputació de Barcelona : Pagès, 2010), et l’ouvrage collectif consacré à six bibliothèques catalanes “singulières”, sous la direction de Montserrat  Comas i Güell, Montserrat et Víctor Oliva i Pascuet: Llum entre ombres : 6 biblioteques singulars a la Catalunya contemporània : Biblioteca del Centre de Lectura de Reus, Biblioteca de l'Ateneu Barcelonès, Biblioteca del Centre Excursionista de Catalunya, Biblioteca Museu Balaguer, Biblioteca Arús, Biblioteca de Catalunya (Vilanova i la Geltrú : Organisme Autònom de Patrimoni Víctor Balaguer, 2011). Merci à Lluis Agustí. 

[23] Cf. la note 4, p. 766.

[24]  Cf. Castillo Gómez, Antonio (ed.), Cultura escrita y clases subalternas : una mirada española, Oiartzun, Sendoa, 2001.

[25]  C’est ce que remarque Craig Kallendorf dans le review essay qu’il consacre au livre (« The history of printing an reading in Spain », The Papers of the Bibliographical Society of America, 99 : 2 (june 2005), pp. 309-315).

[26] Cf. Rioux, Jean-Pierre, Sirinelli, Jean-François (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 16.

[27] Historia de la edición en España (1836-1936), Madrid, Marcial Pons, 2001 et Historia de la edición en España (1939-1975), Madrid, Marcial Pons, 2015.

[28] "Les recherches sur le livre et la lecture en Espagne (XVIII-XXe siècles)", Bulletin de la Société d'Histoire Moderne et Contemporaine (supplément à la Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, t. 4l), 1994/3-4, p. 49-57. Reproduit dans R. Chartier (éd.), Histoires de la lecture. Un bilan des recherches, Paris, IMEC, 1995, p. 51-63. Version actualisée in: Revista de História das ideias. O livro e a leitura, 20, 1999, p. 315-335; « La cultura escrita en España (1833-1936): balance y perspectivas » (Revista Brasileira de História da Mídia, vol. 4, n. 2, jul./dez/ 2015, pp. 11-23 (http://www.unicentro.br/rbhm/ed08/dossie/01.pdf); « Para una historia cultural del impreso (siglos XIX-XX) », en Lluis Agustí, Mònica Baró y Pedro Rueda Ramírez (eds.), Redes del libro en España. Agentes y circulación del simpreso (siglos XVII-XX), Zaragoza, Prensas Universitarias de Zaragoza, 2021, p. 117-140.

[29] Larraz, Fernando, Josep Mengual, Mireia Sopena (eds.), Pliegos alzados. La historia de la edición, a debate. Gijón, Ediciones Trea, 2020.

[30] Castellano, Philippe, Un editor de Barcelona. Pablo Salvat Espasa (1872-1923), Gijón, Trea, 2021. 

[31]  Cf. Cordón García, José Antonio, « La edición contemporánea en España : revisión bibliográfica », Syntagma. Revista del Instituto de Historia del Libro y de la Lectura, 1 (2005), pp. 137-142.

[32] Cf. Botrel, Jean-François, « La historia de la edición contemporánea : ¿una historia sin archivos ? », in : « En nombre de todos… ». Estudios en homenaje a José Miguel Delgado Idarreta, Berceo : revista riojana de ciencias sociales y humanidades, 173 (2017), pp.  49-60.

[33] http://edi-red.csic.es

[34] La création en 2000, à Salamanque, de l’Instituto de Historia del Libro y de la Lectura visait à favoriser ces entreprises.

[35] Dans ces pays, la recherche —plus récente— n’a pas privilégié le traitement quantitatif ni la période coloniale et a inscrit son approche de l’histoire du livre, de l’édition et de la lecture dans une perspective beaucoup plus culturelle, en faisant une meilleure part aux gens du livre (cf. Seminario de Historia de la educación en México, Historia de la lectura en México, México, Ed. del Ermitaño/El Colegio de México, 1988 ; Suárez de la Torre, Laura Beatriz (coord.), Empresa y Cultura en tinta y papel (1800-1860), México,  Instituto Mora/Universidad Autónoma de México, 2001 ; Suárez de la Torre, Laura Beatriz (coord.), Constructores de un cambio cultural : impresores-editores y libreros en la ciudad de México. 1830-1855, México, Instituto Mora, 2003 ; Abreu, Márcia (coord.), Leitura, história e história da leitura, Campinas, Mercado de letras/Associação de Leitura do Brasil/Fapesp, 1999 (1a reimpressão : 2002) ; Bragança, Aníbal, Livraria Ideal : do cordel à bibliofilia, Niterói, Edições Pasárgada/EdUFF, 1999 ; Bragança, Aníbal, « Uma introdução à história editorial brasileira», Cultura. Revista de História e Teoria das Idéias, XIV (2a série) (2002), pp. 57-83 ; Bragança, Aníbal, I Seminário brasileiro sobre livro e a história editorial. Livro do seminário 8 a 11 de novembro de 2004, s. l., Fundação Casa de Rui Barbosa, Universidade Federal Fluminense, Núcleo de Pesquisa sobre livro e história editorial do Brasil, [2004]. Au Brésil, se publie également, depuis 2011, la revue Livro. Revista do núcleo de estudos do livro e da edição, et une collection consacrée à la mémoire éditoriale, la « Coleção Memória Editorial » (apud Bragança, « Uma introdução… », loc. cit., p. 57).

[36] Les échanges organisés, notamment au Québec et avec des chercheurs québécois, comme Marcel Lajeunesse, Jacques Michon, Josée Vincent ou M. P. Luneau,  autour des « Mutations du livre et de l'édition dans le monde du XVIIIe siècle à l'an 2000 » (2000), des « Passeurs d’histoire(s) »  (2008) ou de « La Fabrication de l’auteur » (2006), par exemple, m’ont personnellement permis de réaliser les limites d’une vision centrée sur un seul pays, voire sur un espace linguistique ou culturel plus vaste, l’hispanophonie, la francophonie, et même l’aire romane.