Au Cabinet-Vert.

Le Cabinet-Vert est cette portion de Vilaine du bief Saint-Hélier, comprise entre le Pont Villebois-Mareuil et le déversoir du Stade Vélodrome, bordée aujourd’hui par la promenade des Bonnets Rouges, l’ancien chemin de halage.

Il faut l’imaginer en 1901, sans guère de constructions, mais déjà, longeant la rive gauche, les voies de marchandises de la gare ferroviaire, et, en contrebas de la rive droite, la préfiguration du stade vélodrome qui sera inauguré en 1924, et, boulevard Laënnec (encore appelé de la Duchesse Anne), l’usine des Tramways Electriques Rennais, les premiers bâtiments de l’Ecole de Médecine construite à partir de 1895 et l’Ecole Pratique d’Industrie. Mais l’endroit est alors surtout connu pour sa baignade, installée depuis 1868, sur la rive droite, dans la Prairie Saint-Georges, avec son bateau de service, ses six marronniers, ses cabines et son “balcon” pour l’apprentissage de la natation, dont les Archives Municipales de Rennes conservent les plans. Il s’agit d’un lieu de promenade apprécié des Rennais qui pour certains évitent le chemin de halage sur les quelque 100 mètres de sa traversée de la baignade «pour ménager la pudeur des publics féminins obligés de passer au milieu des baigneurs».

C’est ce bassin (la ligne droite entre le pont et “le jardin de M. Delanoë”, près de la baignade) que la SRR, récemment réorganisée, choisit pour l’organisation de ses régates entre 1901 et 1908, presque toujours à la fin juin. Grâce aux documents conservés aux Archives de Rennes et aux articles parus dans  Ouest-Eclair ,  Les Nouvelles Rennaises ou  L’Année Sportive , on dispose de précieuses informations sur cet événement annuel qui s’inscrit parmi les autres festivités rennaises de l’époque, telles que la Fête des Fleurs, la Fête des Pêcheurs à la ligne, la Fête-Dieu, la Foire du Mail, la Fête vénitienne du Mail d’Onges, et les différentes fêtes de quartier (comme celle du Pont Saint-Martin) et bénéficie, à ce titre, de l’appui de la Ville de Rennes: une subvention de 300 francs quand les recettes annuelles de la société s’élèvent à 1 700 fr. et que le coût d’installation d’une tribune est de 150 fr.

Par régates, il faut plutôt entendre des fêtes nautiques au cours desquelles sont organisées des épreuves ou des démonstrations de presque toutes les activités et sports nautiques alors pratiqués à Rennes. Il s’agit de courses d’aviron bien sûr (on en trouve souvent huit inscrites au programme) qui sur ce bassin limité en largeur et en longueur se font avec deux ou trois embarcations, avec un ou plusieurs virements de bouée. Il s’agit de courses en yole de pointe à 2 (qui s’appellent alors  Pourquoi pas et  Giroflée , puis  Lakhmé (achetée au club du Mans) et  La Rosière ), en yole à 4 ( SRR , puis  Girofla (également achetée au club du Mans),  Cérès et  Bric à Brac ) sur lesquelles s’affrontent (sur une distance de 1 200m) les étudiants de Droit, de Médecine et d’Agri (en 1909, ce sont les “Agricoles” qui remporte pour la 7 e fois la Coupe des Ecoles de l’Université fondée en 1901). Sont également organisées des courses de yoles de plaisance à deux rameurs de couple, de canots de promenade à deux rameurs ( Lily et  Sylvette ), de baleinières à six rameurs (où, en 1907, la Nautique Rennaise —une société de canotage et de natation fondée en mai de cette même année— se mesure aux Hospitaliers Sauveteurs Bretons), de canoës avec barreur et de yoles à un rameur, et toujours et encore des courses de périssoires, assis et debout, mais aussi fréquemment dans l’eau, étant donné l’extrême instabilité de ces esquifs. S’ajoutent à cela, selon les années, des courses à la godille, des joutes, des démonstrations de chiens sauveteurs, des gymkanas nautiques. En 1907, une course de canots automobiles est même disputée entre canots à pétrole et à vapeur, le troisième étant simplement signalé comme appartenant au Touring Club de France (TCF).

C’est cette année-là que, pour la première fois semble-t-il, est disputée une course de double-scull entre  Polo (SRR) et  Zut (Nautique Rennaise) et où l’on enregistre la participation du Club Nautique de Laval aux épreuves d’aviron et de natation.

 Car ces fêtes sont aussi l’occasion pour la SRR qui, depuis 1903, a une section de natation, d’offrir aux nageurs, qui ne disposeront d’une piscine qu’à partir de 1925, la possibilité de se confronter dans des concours de natation, de vitesse et de fond, en plus de la Traversée de Rennes à la nage organisée par le  Nouvelliste de Bretagne . En 1907, c’est un certain Lamy qui remporte, à la fois, le Championnat de natation des Lycées et Collèges (sur 60m) devant 7 autres concurrents, et le Championnat de Rennes sur 300m qui l’année suivante est gagné en 3’ 3’’ par Esnoud du Stade Rennais Université Club (SRUC), devant Noblet du 7 e d’Artillerie. Des matches de water-polo sont également organisés avec la participation du SRUC ainsi que des concours de plongeon ou plutôt d’apnée: c’est ainsi que le 30 juin 1901 un des  sportmen de la SRR qui, pour la plupart, multiplient les prestations au cours de l’après-midi, un certain Escolan, remporte l’épreuve en restant 20 secondes sous l’eau devant un autre sociétaire des Régates Rennaises, Vaillant, qui lui n’a tenu que 15 secondes.

Il s’agit d’un spectacle payant, agrémenté d’intermèdes musicaux généralement interprétés par la Musique l’Ecole Normale de Garçons. Le public apparemment nombreux est accueilli dans des espaces délimités par des cordes et barrières, avec mâts et oriflammes: dans les “premières”, auxquelles on accède par le boulevard Laënnec, sont installées, sur le chemin de halage, des tribunes et des chaises (en 1908, la municipalité se plaint du vol de 27 d’entre elles). L’entrée des “secondes” où les spectateurs sont debout, se fait au niveau du pont Villebois-Mareuil.

Comme c’est souvent le cas à l’occasion des spectacles en plein air, les conditions climatiques sont largement commentées dans la presse locale. Le 30 juin 1907, par exemple, la régate se déroule sous «une pluie autant maussade qu’exaspérante, «une pluie fine et pénétrante, quelque chose comme une rosée persistante et souverainement désagréable», écrit le journaliste d’ Ouest-Eclair  qui couvre l’événement, ce qui aurait incité 400 à 500 spectateurs à prétendre se réfugier dans la tribune couverte de 20x4 m prévue pour 150 spectateurs et manquer pour certains de se précipiter à l’eau, ce que dément formellement auprès de la Municipalité qui s’en était alarmée, le président de la SRR, le Dr. Patay. En revanche, l’année suivante, le 28 juin, il fait trop chaud, ce qui fait regretter au même journaliste qu’on n’ait pas prévu l’abri de quelques tentes mais l’autorise aussi à laisser aller sa plume en ces termes: “Le soleil splendide dans un ciel sans nuage a laissé tomber sur la terre des rayons fulgurants. Il faisait une chaleur torride, tropicale. Bref, les éventails furent mis à la besogne, les fronts s’épongèrent dans un geste unanime et on enviait avec juste raison l’heureux sort des concurrents. Comme il devait faire bon de glisser sur une nappe de fraîcheur, le visage caressé par une brise bienfaisante… Alors que nous nous amollissions dans les tribunes ou sur les berges sans ombre, les concurrents respirèrent l’air des eaux de la Vilaine au Cabinet-Vert!, etc.”. Il n’est pas fait mention de la traditionnelle buvette.

Avec le retour, en 1909, sur le bassin de la Prévalaye pour l’organisation de sa régate annuelle, la SRR qui avait à sa refondation en 1901 réaffirmé sa vocation sportive («la SRR a été créée pour faire des courses et non des promenades d’agrément», précisait le Comité Directeur, le 15 décembre 1901), va progressivement retrouver le niveau d’excellence atteint avec la Régate internationale de 1888 et renouer avec la compétition au niveau régional: dès 1908, des rameurs rennais s’étaient mesurés à ceux des Sociétés Nautiques de Loire et Ouest en participant aux Régates de Nantes où ils avaient remporté la Coupe de Loire et, en 1909, Nantes est à nouveau engagé dans la régate organisée sur le bassin de la Prévalaye, en même temps que les deux yoles à huit de Saint-Malo rivalisent sur ce même bassin. En mai 1910 un 4 outrigger rennais composé de Tréluyer, Eudel, Bard et Lapointe participera à la célébration du 25e anniversaire du Club Nautique de Saumur et terminera 2 e de sa course derrière le Club Nautique de France et devant Châtellerault, Angers et Orléans.

Par la suite, le Cabinet-Vert, dont la baignade fonctionnera sans doute jusque dans les années 1920, notamment pour l’entraînement des joueurs de water-polo, accueillera encore quelques manifestations nautiques comme le concours de natation organisé par le Stade Rennais Université Club le 10 juillet 1910 ou la fête de natation de l’Union Sportive Rennaise du 14 septembre 1913.

Aujourd’hui, alors que le Cabinet-Vert n’est plus fréquenté par les rameurs qu’à l’occasion de la Traversée de Rennes (pour franchir l’écluse Dupont des Loges), une yolette de la Société des Régates Rennaises-Aviron porte toujours son nom.

J.-F. Botrel

(28 décembre 2014)

(http://www.regatesrennaises.fr/2015/01/au-cabinet-vert.html)